« Marketing digital » résonne comme un pléonasme, tant le numérique est désormais intégré à toute démarche marketing. IA, Web3, LLM, informatique spatiale… ces derniers mois, les plaques tectoniques qui constituent l’écosystème digital ont fortement bougé. Que peut-on attendre pour 2024 ?
Voici 7 grosses tendances non-exhaustives qui se dessinent avec leurs opportunités et leurs enjeux, et dont il faut tenir compte dans votre stratégie numérique. La plupart sont détaillées dans le livre « Le marketing digital à l’ère de l’IA et du Web3 » (Ed. Vuibert Albin Michel). Vous verrez que ces tendances soulèvent plus de questions que de réponses, parce que je n’ai pas de boule de cristal. Mais pour trouver les bonnes réponses, il faut commencer par se poser les bonnes questions. Alors voici les tendances à suivre et leurs enjeux, sans ordre hiérarchique.
1. Les défis du contenu synthétique
Depuis novembre 2022 et le lancement de ChatGPT, Bard, Claude, Dall-E, MidJourney et consorts, il est devenu très simple de générer tout type de contenu avec une qualité professionnelle : texte, image, son, vidéo, code et même traductions instantanées dans une autre langue avec synchronisation automatique des lèvres.
De nouveaux outils ne cessent de pulluler, s’appuyant souvent sur les API des mêmes fournisseurs (dont OpenAI, Google DeepMind, Stable Diffusion, etc.). Le corolaire, c'est l’arrivée d’une avalanche de contenus synthétiques, c’est-à-dire générés artificiellement.
Mais ces contenus, créés par des IA génératives charrient plein de questions : comment reconnaître le contenu généré par les humains de celui qui est généré par les IA ? Comment identifier facilement une information erronée (une hallucination, une fakenews ou un deepfake) générée par une IA ? Est-ce souhaitable que les moteurs de recherche comme Google ou Bing référencent des sites dont le contenu est complètement créé à l’aide d’IA génératives ? Comment lutter contre les fausses informations ? Est-ce éthique, voire légal d’utiliser du contenu créé par une IA qui a été nourrie par d’autres contenus protégés ? Quels sont les gardes fous qui seront déployés par les opérateurs d’IA ?
Les réponses à toutes ces questions sont complexes. Elles ne seront pas seulement déterminantes pour l’avenir de l’industrie de l’IA, mais aussi pour l’avenir du Web et au-delà.
2. La réalité étendue devient un nouveau marché
La réalité étendue regroupe la réalité augmentée (AR), la réalité virtuelle (VR) et la réalité mixte (MR), ces technologies sont détaillées dans mon livre. Depuis l’échec cuisant du groupe Meta, on n’ose presque plus parler de « métavers ».
Mais la réalité étendue n’est pas enterrée pour autant.
Souvent, des marchés moribonds se sont réveillés grâce à l’émergence de deux titans, qui se sont livrés une bataille acharnée, développant un nouveau marché dans leur sillage. Ce fut le cas pour PC et Mac, pour Pepsi et Coca-Cola, pour iOS et Android et j’en passe.
Et en 2024, ce peut-être sera le cas pour Apple avec Vision Pro et son informatique spatiale, qui affronte Meta avec Quest est son métavers ludique. Le clash de ces géants pourrait faire redémarrer le marché de la réalité augmentée, sur lequel Magic Leap, Google (Google Glass) et Microsoft (HoloLens), pionniers du secteur, s’étaient cassé les dents une décennie plus tôt. Pari risqué et cher, mais pari tenu.
3. La transformation du model des réseaux sociaux et leur avenir payant
Quinze ans plus tôt, Facebook et Twitter étaient les fers de lance des réseaux sociaux et rassemblaient des audiences très larges et hétérogènes, qui étaient monétisées avec de la publicité ciblée. Mais Facebook n’est plus que l’ombre de lui-même (sauf pour certaines catégories d’âge) et Twitter, transformé en « X » se cherche et se rêve en WeChat occidental – c’est-à-dire en appli sociale à tout faire, dont des transactions bancaires.
Seuls Instagram et LinkedIn semblent actuellement tirer leur épingle du jeu. Face aux nouvelles régulations, européennes notamment, qui nuisent au ciblage publicitaire efficace et entrave leur revenu, les plateformes sociales, à l’instar de X, songent à devenir payantes.
C’est le modèle adopté depuis longtemps par YouTube : payer pour ne pas avoir de publicité. Mais le micro-paiement sert aussi à garantir aux opérateurs de plateformes sociales que vous n’êtes pas un bot, et il pourrait se généraliser.
En tant que marketeur, il faudra surveiller le marché pour capitaliser sur la / les bonne(s) plateforme(s). Threads va-t-il finir par vraiment décoller ? La messagerie instantanée Discord va-t-elle continuer son ascension ? Est-ce que Substack s’imposera en francophonie ? A moins qu’une nouvelle étoile n’apparaisse ? Une chose est certaine : le marché des réseaux sociaux se divise et se segmente (TikTok pour les plus jeunes, LinkedIn pour les professionnels, etc.), et choisir les bons médias sociaux dépend fortement de l’avatar client que vous visez. Dans mon livre, je précise « Affichez-vous où l’attention de votre marché se dirige, pas là où elle était. ».
4. L’essor continu des plateformes vidéos
Les plateformes YouTube, TikTok et Twitch vont continuer leur progression car elles s’adaptent constamment aux souhaits des utilisateurs. Le format vertical est désormais établi, comme le format horizontal 16/9. Outre les streaming qui vont perdurer, les formats longs font place à des montages courts, dynamiques, rapides, parce que l’attention des audiences ne cesse de s’étioler, à mesure qu’elles rajeunissent : TikTok notamment, a créé le réflexe de swiper dès qu’un contenu déplait.
Oubliez la règle des 5 secondes pour capter l’attention : en une fraction de seconde, l’utilisateur passe au contenu suivant. Capter cette attention fugace et morcelée sera de plus en plus difficile, d’autant qu’avec les IA génératives décrites plus haut, la concurrence entre créateurs va s’exacerber. Mais pour celles et ceux qui maîtrisent ces nouveaux codes, le jackpot est quasiment assuré !
5. Le début de la fin de l’hiver des technologies du Web3 (Blockchain, NFT, cryptos) ?
Les technologies décentralisées avaient le vent en poupe en 2021. Une bulle s’est créée autour des NFT et autres cryptos à la mode. Mais deux ans plus tard, les investisseurs et autres gurus du Web3 se sont vite « reconvertis » en investisseurs et gurus de l’IA ! Blague à part, les technologies Blockchain continuent à mûrir désormais en silence, attendant leur « killer app » : une application si attrayante qu’elle incite à une large utilisation, générant l’adoption de la technologie et justifiant ses coûts. Ce n’est qu’une question de temps, mais combien de temps ?
6. La démocratisation du nocode et des applications idoines
Bubble, Weweb, Glide, Softr et consorts sont aux applications web ce que Wordpress est au blogging et Shopify au e-commerce : de formidables accélérateurs qui permettent à quiconque de créer des applications sans développeurs traditionnels, et sans code. Mais le monde ne le sait pas encore vraiment. En 2023, le nocode reste l’apanage d’une petite communauté de passionnés, mais je gage qu’on est juste au début de la courbe d’adoption. 2024 sera peut-être l’année de la transition, de la bascule à une plus large adoption de ces nouveaux outils fascinants.
7. L’omniprésence de l’IA
En 2024, les IA (génératives ou d’arrière-plan) sont omniprésentes. Ce sera la fin de « l’IA pour l’IA » et la « normalisation » de cette technologie, car chaque application décente dispose désormais d’une fonction IA qui permet de générer du contenu, du texte, du son, de la vidéo si nécessaire. Mais avec l’afflux d’investissements massifs dans « l’IA tech », l’océan bleu se transformera aussi en océan rouge.
Pour sortir du lot, il faudra trouver de nouveaux usages et de nouvelles applications innovantes et spectaculaires. Enfin, les modèles de langage large (LLM) tels que ChatGPT, Bard ou Claude vont continuer à se développer. Nous n’en sommes qu’au début et chaque player (OpenAI, DeepMind, Anthropic, …) tente de se rapprocher du rêve d’IAG, une Intelligence Artificielle Générale dotée d’une conscience et de sentiments, qui dépasse les capacités cognitives humaines. Ce qui, du reste, est déjà le cas dans de nombreux domaines. Que l’idée d’IAG nous réjouisse ou qu’on la craigne, le passé nous a prouvé qu’on n’arrêtait pas le progrès !
En définitive, l’écosystème numérique va continuer sa mue. Mais notre rôle, en tant que marketeur, ne change pas : créer plus de valeur pour nos clients et la distribuer au plus grand nombre, à moindre coût. Si les avancées technologiques nous le permettent, autant capitaliser dessus. Mais elles doivent rester des moyens plus que des fins en soi. La fin en soi, a toujours été et reste de combler chaque client, un à un, et le faire revenir le plus souvent possible.
À propos de l’auteur
Stefan Lendi est expert en marketing et auteur. Il pratique le marketing digital depuis de nombreuses années au sein de PME et sociétés dont Danone, Nestlé ou Nespresso, et conseille diverses entreprises. Il a développé et gère plusieurs services web, dont la plateforme de référence STRATEGEMARKETING.com. Il a créé la méthodologie PsychoMarketing et publié le livre éponyme.